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La Domination Masculine – Pierre Bourdieu

Je pensais avoir lu les meilleurs ouvrages de la littérature féministe et ne m’attendais pas à être particulièrement impressionnée par celui-ci, qui plus est, écrit par un homme; et pourtant. “La Domination Masculine” occupe désormais une place prépondérante dans ma liste de livres que toute femme doit lire au moins une fois dans sa vie. C’est un bouquin qui résume parfaitement ma pensée sur le sujet et que je recommande vivement.

Ayant grandi dans une société et dans une famille conservatrices, selon le schéma patriarcal, rien ne me prédisposait à être une femme libre, forte et indépendante, bien au contraire. Traitée comme une véritable princesse par mes parents (que j’adore) qui m’on gâtée toute ma vie, ces derniers m’imposaient également de nombreuses limites, sous l’influence de la religion, de la culture et des traditions, et sous prétexte de mon genre: les filles doivent bien se comporter (moralement), se tenir correctement (physiquement), faire honneur à la famille, ne jamais faire scandal, se vêtir convenablement, avoir bonne réputation, être douces, demander l’aide d’un homme au besoin car (évidemment) physiquement moins fortes, suivre les conseils de la famille car incapables de prendre des décisions toutes seules, ne pas se faire remarquer et, la meilleure, ne surtout, mais alors surtout pas avoir de rapports sexuels avant le mariage, car cette partie du corps féminin est sacrée et seul un heureux élu ne pourra y avoir accès.

Le vagin, socialement constitué en objet sacré, mène les femmes à se penser spéciales, et à se conduire en objet de désir qui doit être courtisé, conquis et gâté. Attitude qui encourage la femme à porter une attention particulière à son apparence, renforce son narcissisme et la cantonne dans sa dépendance non seulement aux hommes, qui détiennent le pouvoir de lui procurer l’ultime gratification lorsque ceux-ci succombent à son charme, mais également au regard d’autrui (autres femmes comprises), dont elle tire la validité de son existence.

Toutes ces règles qui sont dictées à certaines filles depuis leur plus tendre enfance, conditionnent profondément leur comportement, orientent leurs centres d’intérêts vers des activités superficielles, fragilisent leur confiance en elles, favorisent leur asservissement et concourent grandement à la création d’un masque social, au non développement de soi (pour soi), au profit de la manipulation de chacun de leurs gestes et mots pour satisfaire les ordres sociaux et familiaux, pour “faire bien” et “être bien vues”, t’sais.

La domination masculine s’enracine dans le bouleversement survenu dans la division du travail par suite de l’invention de nouveaux instruments, durant la période de révolution des techniques agricoles que constitue l’apparition de la charrue, dont le maniement nécessite un travail intensif et une force physique importante, uniquement accessible aux hommes. Par conséquent, la valeur du travail de ménage de la femme décroit face au travail productif de l’homme; la famille patriarcale apparait et les femmes sont opprimées. Il résulte de cet asservissement, des comportements féminins (frustration, jalousie, manipulation, jeu de séduction pour obtenir gain de cause ou comme forme de réclamation de son pouvoir) qui s’imprimeront durablement dans les corps à travers les siècles et dont les traces se font encore ressentir aujourd’hui.
La domination masculine est le produit d’un travail incessant de reproduction, auquel contribuent des agents et des institutions (famille, École, institutions religieuses, État).

Comme l’a si bien affirmé Simone de Beauvoir: “C’est l’absurdité de son éducation qui crée l’infériorité de la femme.” Et c’est par l’éducation, d’abord au sein de la famille et ensuite à l’École, que nous parviendrons à subvertir les codes, et améliorer la position et la condition des femmes au sein des sociétés tel que l’explique Bourdieu, dans cet essai d’une justesse étonnante.

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