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L’Eternel Mari – Dostoievski

Une lecture provoquant un malaise immédiat. Les non-dits, les dialogues en suspens et les silences insoutenables sont anxiogènes. Cela dit, ce livre est un chef d’oeuvre; je reste cependant persuadée qu’un lecteur n’ayant pas dévoré Mensonge Romantique Et Vérité Romanesque de René Girard au préalable ne soit pas en mesure de saisir et d’analyser l’ampleur des messages véhiculés par cet ouvrage.

Les auteurs donnent habituellement à leurs personnages des caractères bien définis qui tombent généralement sous le spectre de bons ou mauvais. Personalités qui plantent le décor, permettant ainsi au lecteur de savoir où il met les pieds et de choisir son camps. Dans L’Eternel Mari, Dostoïevski nous déstabilise complètement en proposant deux personnages tout aussi détestable l’un que l’autre, mais pour des raisons différentes: le premier, à cause de la médiocrité et la bassesse de son tempérament qui nous fait osciller entre aversion et un soupçon de compassion face à la détresse flagrante qu’il éprouve; et le second, du à la peine profonde dont il a été la cause à maintes reprises.

L’auteur nous transporte dans la descente aux enfers que peuvent causer la jalousie et l’envie, menant inévitablement à l’autodestruction. Il décrit dans les moindres détails la relation d’amour et de haine entre un époux et un homme que ce dernier admire grandement, l’ancien amant de sa femme. Dostoïevski explore les côtés sombres de la nature humaine et expose les actes les plus bas qu’un homme puisse réaliser, ainsi que les sentiments les plus méprisables que l’être humain soit capable de ressentir sous l’influence du manque cruel de confiance en soi, d’une estime de soi basse, de la haine de soi, du respect et de la jalousie envers l’apparent succès d’autrui (qui mène à la fois à l’admiration et à la haine de l’autre, tout en créant le désire de blesser, uniquement dans le but de se sentir plus fort, ne serait-ce qu’une fois), la recherche désespérée de l’approbation et de l’amour de l’objet du désire en ce qui concerne les sujets sur lesquels il est jugé supérieur. Ces comportements conduisent l’homme envieux à se mettre délibérément dans des situations dans lesquelles il devient une victime, des situations dans lesquelles il sait qu’il va perdre au jeu et souffrir, des situations dans lesquelles il se rabaisse et se ridiculise.

Mais qu’est-ce donc qu’un éternel mari? Un homme qui a dévoué sa vie à être un époux; un homme qui se définit par son statut marital; un homme dont l’unique source de joie née de son mariage; un homme qui s’est ostracisé; un homme seul, bien qu’accompagné; un homme qui souhaitait tellement être marié qu’il exauçait les moindres désirs de sa femme et se pliait à toutes ses volontés.

A la mort de son épouse, il découvre qu’elle l’a trompé plusieurs années durant avec deux hommes qui furent autrefois des amis de la famille. Il se lance alors à la recherche des amants et l’histoire s’articule autour de ses retrouvailles avec l’un d’entre eux, dont la prestance, l’étendue de la culture et les qualités de séducteur avaient toujours suscité la vive admiration du mari.
La démarche de l’époux semble partir d’une bonne intention: pardonner sa femme, son amant et fermer un chapitre douloureux de sa vie; mais le lecteur réalise assez vite que l’homme admire tellement l’amant qu’il en vient à le désirer physiquement, au point de lui demander de l’embrasser; il envie sa présence si agréable à autrui et est jaloux de ses capacités de séduire n’importe quelle femme sans avoir besoin de faire d’efforts, simplement en restant lui-même. Il vénère et hait l’amant pour toutes ces qualités que lui ne possède pas.
De son côté, l’amant est loin d’être aussi exceptionnel que le mari le pense. Au delà de ses qualités qui lui valent l’admiration de l’époux, l’amant fût un homme cruel et tourmenté. Cependant, à la fin de l’histoire, le mari reste un perdant jaloux qui manque de confiance en lui, tandis que l’amant, de par sa force de caractère, parvient à trouver la paix d’esprit et le bonheur, une fois que ce dernier estime avoir enfin payé ses dettes à la vie pour ses fautes passées.

Outre la dénonciation de l’Envie et de ses conséquences nuisibles pour l’être humain, cet ouvrage met en lumière deux types de personnalités perçues par la société comme faible et forte. Dostoïevski démontre que les personnes que nous mettons sur un pied d’estale ne sont pas aussi importantes que nous voulons le croire. Ce récit est la preuve que peu importe la force de caractère d’un être humain ou son succès apparent, tout le monde traverse des moments difficiles et tout le monde a des défauts; cependant, seuls les plus forts parviennent à surmonter leurs problèmes, à changer de vie et à trouver le bonheur.

Morale de l’histoire?

  1. Réalisez des examens de conscience de temps à autre, afin de vous assurer que vous ne glissez pas du côté obscur de la nature humaine.
  2. Ayez plusieurs sources de bonheur. Enumérez-les toutes sur un bout de papier et tâchez de les réaliser. De cette façon, si une source de joie vous ne vous procure plus de bien-être vous n’aurez pas l’impression que votre vie entière s’écroule.
  3. Ne mettez personne sur un pied d’estale. Les êtres n’affichent que ce qu’ils souhaitent que vous sachiez d’eux, généralement leurs bons côtés; mais vous ignorez qui ils sont en réalité. Cherchez à être la meilleure version de vous-même, à vous améliorer constamment et vous détiendrez la clé du bonheur.

 

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