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Identités Meurtrières – Amin Maalouf

Je me promenais dans une librairie, à la recherche d’un ouvrage bien précis lorsque je tombai sur le présentoir des coups de coeur du magasin. En balayant des yeux rapidement les oeuvres exposées, mon regard s’attarda sur un auteur que je ne connaissais pas mais dont j’étais certaine, à la lecture de son nom, qu’il était d’origine libanaise. A la fois piquée par la curiosité et fière de voir un écrivain libanais à succès au Québec, j’entrepris de lire la première page du bouquin que je tenais entre les mains et ce fut la révélation: il aborde dans ce livre un sujet qui m’est cher, d’une part car la question de mon identité, de mes origines m’a été posée à maintes reprises et mes réponses ont parfois, à mon grand étonnement, fait débat; et d’autre part, car la problématique de l’identité soulève d’autres interrogations, plus pertinentes que jamais dans le contexte de mondialisation dans lequel nous nous trouvons.

Je suis d’origine libanaise mais suis née et ai grandi au Sénégal. A l’âge de 16 ans, j’ai déménagé en France, où j’ai vécu jusqu’à 24 ans avant de m’envoler pour le Canada, où j’ai finalement décidé de déposer mes valises. Entre temps, j’ai également passé un an à Londres et 5 mois à Barcelone.

Quand je suis arrivée en France, je disais que j’étais sénégalaise d’origine libanaise.
Aujourd’hui, si vous me demandez d’où je viens, je vous répondrai que je suis française, car c’est la réponse la plus simple que je puisse vous apporter, sans avoir à rentrer dans les détails de ma vie. Si je rétorque “je suis française” c’est que la France est le dernier pays où j’ai vécu longtemps et qui a profondément marqué ma personne; dans quelques années, je vous répliquerai très probablement que je suis québécoise. Quand je parle à ma famille ou à mes amis d’enfance, c’est mon accent sénégalais qui jaillit; certaines odeurs, certain fruits, certains mets, m’évoquent avec affection mon Sénégal natal, auquel cas, je revendique fièrement que je suis sénégalaise. Certaines personnes désireuses d’associer un drapeau aux traits de mon visage, m’interrogent souvent sur mes origines profondes, et je réponds avec un sourire que je suis libanaise.

Ceux qui me connaissent depuis longtemps et qui m’ont vue m’attribuer tantôt des origines françaises, tantôt des origines sénégalaises et tantôt des origines libanaises, selon les situations, se sont parfois gentiment moqués: “Quand ça t’arrange t’es française, quand ça t’arrange t’es libanaise, et quand ça t’arrange, t’es sénégalaise“. J’ai aussi beaucoup entendu: “Tu n’es pas libanaise, tu n’es pas née au Liban, tu n’y as même jamais été!” (dois-je renier mes racines, toute la culture et toutes les traditions libanaises qui m’ont été transmises depuis mon enfance sous prétexte que je ne suis pas née dans le pays ou que je ne l’ai jamais visité???? – Absurde.) ou encore: “Ceux qui viennent de partout viennent de nulle part, ils sont perdus, il n’ont pas d’attaches profondes“, comme s’il fallait absolument réduire notre identité toute entière à une seule et unique appartenance. Une telle étroitesse d’esprit est dangereuse, et place les hommes dans l’intolérance, le sectarisme et la domination. Je ne suis pas libanaise, sénégalaise et française “quand ça m’arrange“; toutes ces nationalités font partie intégrante de ma personne et selon les situations, l’une de ces appartenances prend le dessus sur les autres.

Notre identité ne nous ai pas donnée à la naissance une fois pour toutes. Elle s’acquière, se transforme et se construit au cours de l’existence. Elle est composée de tous les éléments qui ont marqué notre vie et contribué à forger la personne que nous sommes: la nationalité, la langue, la religion, la couleur de la peau, la classe sociale, l’orientation sexuelle, la trajectoire de vie, etc. Ces éléments continuent d’évoluer au fil du temps et il existe, au sein de ces facteurs une hiérarchie qui elle aussi, change avec le temps. A chaque époque et en fonction des situations, un fragment de notre identité s’amplifie au point d’occulter tous les autres et de se confondre avec notre identité toute entière. Vous remarquerez d’ailleurs qu’il suffit que l’une de nos appartenances (religion, langue, culture, ou autre) soit menacée ou attaquée, pour que nous la revendiquions et l’affichions avec ostentation.

Une autre question importante est soulevée par le thème de l’identité dans un contexte de mondialisation. J’ai déjà entendu à plusieurs reprises: “on ne veut pas de leurs traditions ancestrales ici” en parlant d’immigrants pratiquant une religion bien précise. Maalouf développe le sujet avec finesse et douceur, en expliquant que le problème qui se pose pour les immigrants est de trouver un moyen d’assimiler la culture occidentale sans pour autant renier la leur. Une attitude de respect, d’ouverture et d’acceptation envers les immigrants, ainsi qu’une bonne politique d’intégration, incite ces derniers à adopter les traditions de leur pays d’accueil, tandis qu’un rejet engendre ressentiment, exclusion, repli sur soi, ghettoïsation, méfiance et agressivité. La réciprocité de l’ouverture est vitale dans le cas de l’immigration. Là aussi, ce sujet me touche car ayant vécu dans plusieurs pays à fort taux d’immigration, je me suis aperçue que les personnes issues de l’immigration, et même si celle-ci remonte à plusieurs générations, ont tendances à former des groupes, ce que je comprends parfaitement, car nous avons tendance à nous rapprocher de ceux qui nous ressemblent, les points communs agissent comme des passerelles vers l’autre et facilitent la communication. Mais cette attitude est peut-être révélatrice d’un refus d’adaptation au pays et peut être, d’un sentiment de rejet et d’exclusion de la part du pays qui peut pousser certains à la rebellion.
Maalouf affirme: “En Europe occidentale, qui est devenue dans les faits, terre d’immigration mais qui ne s’estimait pas telle par vocation, certains peuples ont encore du mal à concevoir leur identité autrement que par référence exclusive à leur propre culture.

Le titre “Identités Meurtrières” fait référence aux absurdités dont certains peuvent être capables au nom de l’une des appartenances constituant leur identité, lorsque celle-ci se voit attaquée ou menacée.

Cet ouvrage est, dans son essence, un plaidoyer pour le respect, la tolérance, le progrès, la dissociation du religieux de l’identitaire et l’ouverture d’esprit, nécessaires dans le monde dans lequel nous vivons actuellement.

 

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